Le 14 août, la Fédération canadienne des associations de bibliothèques (FCAB) a publié un communiqué sur son site Web intitulé « Don’t Blame Copyright for Declining Revenue. It Won’t Help Authors. » (Inutile d’attribuer la baisse de revenus au droit d’auteur. Cela n’aidera pas les auteurs). Le communiqué recense des affirmations inexactes sur la Loi sur le droit d’auteur et sur la pratique actuelle de la reproduction des œuvres aux fins d’éducation au Canada, en plus de présenter les auteurs et les éditeurs comme des adversaires des bibliothèques. Qui plus est, il contient des propos associés à des militants contre le droit d’auteur que les tribunaux et les législateurs ont rejetés.
Nous sommes une coalition d’associations professionnelles qui représente les auteurs et les éditeurs du Canada. Nous tenons à exprimer notre profonde déception face au communiqué de la FCAB.
Il est regrettable qu’une fédération nationale des bibliothèques affiche un tel manque de respect envers les partenaires les plus proches du réseau de bibliothèques du Canada et ternisse leur réputation, surtout en ces temps où le secteur de la rédaction et de l’édition fait face à des pertes de revenus de plusieurs centaines de millions de dollars, des pertes d’emplois et une diminution générale de l’industrie. Tout professionnel prévoyant du milieu bibliothécaire devrait plutôt s’inquiéter de cette situation.
Quand les budgets des bibliothèques sont en péril, les rédacteurs et les éditeurs se mobilisent pour manifester leur mécontentement et faire pression sur les gouvernements à tous les paliers en vue de rétablir et d’augmenter le soutien financier. Nous offrons gracieusement notre temps, notre travail et nos compétences pour soutenir les causes et les levées de fonds en faveur des bibliothèques. Il est difficile d’imaginer que les employés de première ligne des bibliothèques, avec lesquels nous sommes régulièrement en contact, approuveraient le traitement réservé aux auteurs et aux éditeurs dans le communiqué de la FCAB.
Les organismes soussignés représentent des rédacteurs et des éditeurs œuvrant dans le secteur des livres canadiens. Nous savons ce qui aide les auteurs et ce qui leur nuit, et nous devons souligner à nouveau, noir sur blanc, que l’affaiblissement de la Loi sur le droit d’auteur et la pratique de reproduction non rémunérée au Canada ont sérieusement entravé notre industrie et nui aux sources de revenus des auteurs d’un bout à l’autre du pays. De plus, l’augmentation considérable de la reproduction des œuvres à des fins pédagogiques n’a pas été avantageuse pour les enseignants ni pour les étudiants, puisqu’elle réduit l’offre de nouveaux contenus professionnels canadiens et en complique grandement l’accès.
Nous le savons, car nous sommes aussi activement impliqués dans le secteur de l’éducation. Les auteurs sont fréquemment invités dans les salles de classe de l’ensemble du pays. De plus, de nombreux écrivains exercent couramment les métiers d’enseignant et de bibliothécaire, et nous comptons également ces professionnels parmi nos membres. Nous avons observé de première main la diminution des budgets alloués aux ressources et la déception des enseignants tentant de pourvoir aux besoins de leurs étudiants. Plusieurs écrivains qui sont également enseignants et bibliothécaires nous ont fait part des efforts déployés pour s’assurer que l’accès et la rémunération vont de pair, même lorsque des politiques éducatives malavisées justifient le non-paiement.
Les préjudices économiques subis par les créateurs et les éditeurs, le résultat de l’état actuel de la réglementation
Les organisations d’auteurs et d’éditeurs ne tiennent pas les bibliothèques responsables de la menace qui pèse sur la viabilité économique. Les pertes de revenus bien réelles des auteurs découlent d’une loi ambiguë qui a été délibérément mal interprétée par les responsables budgétaires institutionnels qui refusent d’adopter des licences collectives. Les groupes d’auteurs et d’éditeurs estiment que la responsabilité de cette loi ambiguë revient aux législateurs canadiens, et non aux bibliothèques. Nous n’avons jamais avancé une position différente.
La Loi sur le droit d’auteur occupe une place centrale dans les licences transactionnelles, d’abonnement et d’accès. En réalité, sans le droit de propriété que confère le droit d’auteur, la vente et l’octroi de licences de documents publiés ne seraient pas possibles. Les auteurs commerciaux doivent absolument recevoir des redevances dans le cadre de ces accords, conformément aux contrats et aux licences. Si des rédacteurs d’articles scientifiques ou d’œuvres savantes renoncent à leurs redevances, c’est un choix qui leur appartient; il est possible qu’ils doivent publier des œuvres à titre d’universitaires et que leur rémunération tienne compte de cette obligation. Quoi qu’il en soit, cette décision est orientée par la Loi sur le droit d’auteur.
En aucun cas, les frais d’abonnement, de transaction et d’accès actuellement payés par les bibliothèques ne compensent ou ne justifient les reproductions massives non autorisées qui ont lieu chaque année dans le secteur canadien de l’éducation en raison de l’interprétation erronée selon laquelle l’utilisation équitable permet une telle reproduction. Une licence est nécessaire pour cette utilisation, et les frais associés à ladite licence ne sont pas payés.
Les groupes d’auteurs et d’éditeurs ne remettent pas en question la véritable utilisation équitable, et nous l’avons clairement exprimé dans des déclarations publiques, des témoignages devant les tribunaux et des témoignages parlementaires. Nous faisons également un usage courant et respectueux de la disposition sur l’utilisation équitable. Le problème en question réside plutôt dans la mauvaise interprétation délibérée que font les établissements de la disposition sur l’utilisation équitable. Résultat : des contrefaçons de plusieurs centaines de millions de dollars chaque année dans le secteur canadien de l’éducation. Il s’agit d’un fait étayé par des preuves admises devant les tribunaux canadiens et devant la Commission du droit d’auteur. Aucune décision de la Cour suprême n’a remis en cause ces constatations. Il reste maintenant à créer et à mettre en œuvre une définition adéquate et une structure de mise en application dont la responsabilité incombe, encore une fois, au gouvernement fédéral.
Les licences collectives de droits d’auteur sont une bonne affaire pour les étudiants et leur établissement d’enseignement et sont établies en fonction de l’évaluation de l’utilisation réelle, au-delà de l’utilisation équitable. Les licences sont payées à des fins de reproduction physique ou numérique et personne ne paie deux fois pour la même utilisation. Une personne ou un établissement peut choisir de ne pas participer à la gestion des droits d’auteur par le biais de licences collectives, mais dans ce cas, une autre licence doit être obtenue pour chaque œuvre protégée par le droit d’auteur que la personne ou l’établissement a l’intention de continuer à utiliser. C’est une loi fondamentale.
Dans l’affaire Access Copyright c. Université York, la Cour suprême s’est prononcée sur une question de tarifs obligatoires et a explicitement choisi de ne pas aborder la question de l’utilisation équitable. Ainsi, les constatations des instances inférieures sur les questions de l’utilisation équitable, lesquelles étaient étayées par une grande quantité de preuves, confirment sans équivoque que les lignes directrices et les pratiques de reproduction en question n’étaient pas acceptables. Il est publiquement connu que l’Université York a été déclarée coupable de violation du droit d’auteur sur cette question. Pourquoi l’association nationale des bibliothèques déforme-t-elle l’historique juridique?
Lorsque Access Copyright, l’organisme canadien responsable de l’attribution de licences, a récemment annoncé une regrettable restructuration due à une importante baisse de ses revenus au cours des dix dernières années, le mot « bibliothèque » n’a pas été mentionné dans son communiqué. Comme toujours, notre secteur attribue au gouvernement fédéral la responsabilité des préjudices causés par les modifications mal conçues qui ont été apportées en 2012 à la Loi sur le droit d’auteur. Le gouvernement est chargé de réparer ces dommages et a fait la promesse de le faire. Nous ne comprenons pas bien pourquoi la FCAB aurait décidé de s’immiscer dans l’annonce de licenciement, étant donné qu’aucun lien de ce type n’a été établi.
Les groupes d’auteurs et d’éditeurs soutiennent les bibliothèques
Aucun groupe d’auteurs ou d’éditeurs n’accuse les bibliothèques ou les éducateurs de quoi que ce soit, et certainement pas pour l’utilisation légale de matériel pédagogique, comme le laisse entendre le communiqué de la FCAB. Notre secteur est principalement préoccupé par les utilisations illégales qui perdurent, comme déclaré à de nombreuses reprises dans diverses circonstances. Si l’établissement d’un éducateur de première ligne lui indique de reproduire des œuvres d’une manière qui est, en principe, illégale, ce n’est pas la faute de l’éducateur. C’est le résultat d’une mauvaise politique institutionnelle découlant de l’interprétation déraisonnable d’une loi inadéquate.
Nous ne contestons pas le fait que les bibliothèques allouent des ressources à l’acquisition de contenu ni que ces dépenses ont possiblement augmenté au cours de la dernière décennie. Bien entendu, cela n’a rien à voir avec les reproductions non rémunérées. Notre secteur soutient depuis longtemps que les budgets des bibliothèques devraient être considérablement augmentés de manière à permettre une plus grande acquisition ou reproduction légale de contenu pour les usagers des bibliothèques, et que toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur puissent être rémunérées équitablement pour leur travail.
Il est préoccupant de constater que l’interaction entre la Loi sur le droit d’auteur, les revenus des auteurs et la production créative est très peu comprise par l’organisation nationale des bibliothèques. Les ventes de livres commerciaux ne représentent qu’une composante parmi les multiples facettes complexes qui entrent en jeu pour permettre aux auteurs de gagner leur vie. La Loi sur le droit d’auteur accorde aux auteurs un ensemble de droits, et leur rémunération comprend les redevances provenant de la reproduction de leurs œuvres à grande échelle à des fins pédagogiques. Ces revenus sont essentiels dans le domaine de la production culturelle, car sans eux, il y a peu de chances qu’un auteur au Canada puisse vivre de son travail. La rémunération des auteurs dépend entièrement de la Loi sur le droit d’auteur. Comment se fait-il que la FCAB ne le sache pas?
Le secteur de la rédaction et de l’édition du Canada défend depuis longtemps les intérêts des bibliothèques
La FCAB croit-elle sincèrement que nos organismes ne participent pas au Programme du droit du prêt public et au Fonds du livre du Canada, et que nous n’avons pas informé nos membres de ces programmes? Ces formes de soutien existent uniquement grâce à notre longue histoire de promotion et de soutien en faveur de l’ensemble du secteur, dont font partie les bibliothèques. Il serait peut-être préférable que la FCAB examine la position de longue date de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA), dont elle est membre, selon laquelle les programmes de droit du prêt public ne devraient pas être envisagés pour les pays en développement. Cette position pourrait être considérée comme paternaliste, traitant les écrivains et les lecteurs de ces pays comme des citoyens de deuxième classe par rapport au reste du monde.
Les rédacteurs et les éditeurs du Canada continueront de plaidoyer en faveur des budgets des bibliothèques. Nous encourageons nos collègues des associations de bibliothèques à approfondir leur réflexion sur la question du droit d’auteur, à dialoguer directement avec nous concernant la manière dont nous gagnons notre vie et à ne pas limiter leurs recherches aux propos de militants contre le droit d’auteur, qui ont clairement été repris dans le communiqué publié en août.
DATE: 6 September, 2023